CE QU’IL A DE FRANCAIS MON SLIP.

Jeudi 30 janvier 2020, après un début d’année marqué par une vive polémique, nous avons réuni, comme nous le faisons tous les ans, toute l’équipe du siège et les responsables de nos 22 magasins soit 80 des 115 salariés du Slip pour une journée de présentation de notre stratégie 2020. Nous y avons notamment présenté la nouvelle plateforme de marque du Slip sur laquelle nous travaillons avec l’agence Utopies, pionnière sur les marques engagées et positives, depuis octobre 2019. Comme à mon habitude, je lance la journée avec un discours à l’équipe que j’essaye, de mon mieux, d’inspirer en donnant du sens à notre aventure et je ressentais ce jour là le besoin de revenir sur le véritable point de départ de ma démarche.

Salut à tous les cocos.

Je suis très heureux de vous avoir tous ici.
Ce matin nous sommes 80 et c’est une vraie fierté.
Toute l’équipe du siège et les responsables de magasins.

D’abord de vive voix, je voudrais vous souhaiter une très belle année à tous.
2020, le début d’une nouvelle décennie et je vous souhaite à tous de réaliser ce qui vous tient à cœur.
Je le dis dès que j’en ai l’occasion, les vacances c’est mieux que le travail et la vie perso, vos familles, sont à mes yeux plus importantes que notre aventure du Slip, aussi belle soit elle.
En tout cas c’est mon avis, vous en faites ce que vous voulez.

Je le dis souvent, ce ne sont que des slips et à tout problème il y a une solution.

Maintenant qu’on a posé les bases, je rentre dans le vif du sujet.

Et je vous préviens ça va être costaud.

Je crois que c’est de loin le discours le plus costaud que j’ai écrit pour le Slip, le plus personnel en tout cas c’est certain.
J’espère, comme à chaque fois, que j’aurais visé juste et que cela fera écho chez vous.

Putain quel début d’année.
Ça a secoué fort.
Dans nos travails à tous mais plus important encore ça a secoué dans nos valeurs.
Dans qui on est, dans ce pourquoi on est là, dans ce qu’on a envie de porter en tant qu’entreprise, en tant qu’équipe.

Et forcément ça a secoué chez moi aussi.
Très fort.
Dans mes valeurs, dans ce que j’ai construit, dans qui je suis. Et ça m’a posé plein de vraies questions qui fâchent.

Quel est mon rôle, ma responsabilité personnelle dans tout ça ?
Au fond, qu’est ce que j’ai envie de mettre dans cette boite à laquelle j’ai déjà donné 9 ans de ma vie. Ou est ce que moi, j’ai envie de l’emmener après tout ça ?
Est ce que ça a encore un sens ?
Et puis en fait ça veut dire quoi le Slip Français ?
Est ce que j’ai vraiment envie de porter le combat de définir ce que ça veut dire d’être français ?
Ce sujet au combien compliqué qui déchaîne les passions et sur lequel personne ne sera jamais d’accord ? Est ce que ce n’est pas risqué de s’aventurer sur ce terrain là ?

Est ce qu’on pourrait pas juste s’enfouir sous terre, se planquer et dire qu’on s’arrête juste à slip et qu’on oublie le français ?

Ça serait tellement plus simple de faire comme tout le monde, juste des fringues sans vouloir soulever toutes les questions qui fâchent.

De qui, quand, comment et surtout pourquoi ?

Merde alors. Qu’est ce qu’on fait ?

On planque tout sous le tapis et on voit si ça passe ou on prend notre courage à deux mains et on décide, comme on le fait depuis le début, de se regarder droit dans les yeux, pour vérifier qu’on a bien la même gueule deux fois de suite ?

Parce qu’aujourd’hui c’est bien ça l’objectif de la journée : vous partager et j’espère décider ensemble qu’on est tous d’accord sur la définition de ce qu’on veut mettre derrière le Slip Français.

Le Slip et le Français.

Mais finalement, avant que l’équipe vous partage aujourd’hui, la direction qu’on veut prendre avec le Slip pour les 10, 15 et même 20 prochaines années, pour expliquer ce choix, je me suis dit qu’en fait je ne vous avais jamais partagé son vrai point de départ.

Parce que forcément, la raison d’être du Slip, et le sens que je veux lui donner aujourd’hui après toute cette histoire, ils sont à trouver dans son ADN même, dans ce qui a fait qu’elle existe, que le Slip existe.

Les réponses sont dans les racines, forcément. Parce qu’on le vaut bien.
Oui, on a le droit de faire des blagues.

Et je me suis rendu compte que je n’en ai finalement jamais parlé, je n’étais jamais remonté aussi loin ou en tout cas pas aussi clairement.

Vous le savez, vous connaissez tous l’histoire, je suis sorti d’Hec il y a 11 ans maintenant, je ne savais pas quoi faire de ma vie je ne m’étais jamais trop posé la question.

J’étais un jeune diplômé d’école de commerce, qui comme beaucoup ne sait pas trop où aller.

Je démarre un premier job chez General Electric, par hasard en compta à la Défense, je prends le RER en costard, je fais des excel jusqu’à 23H et vous le savez je comprends que je ne suis pas au bon endroit. Que ce n’est pas ce que je veux faire de ma vie. Je démissionne et je pars chez Bio c’ Bon, parcours qui ensuite m’emmènera aux fruits du hasard ou du destin vers le Slip, avec la suite que vous connaissez maintenant par cœur.

Cette histoire, je l’ai racontée 17.000 fois maintenant et encore lundi dernier dans la grande histoire du Slip avec 17 nouveaux. Je ne vous fais pas l’offense de vous la raconter à nouveau ce matin.

Mais dans cette histoire, je n’ai jamais raconté ce qui a ce moment, en costard dans le RER, me fait dévier de ma route.

L’étincelle qui fait que je sors du cadre.

À 24 ans, ce qui me fait dévier de ma route toute tracée, ce sont des lectures.

Je suis tout juste diplômé, je n’ai jamais vraiment lu de ma vie, mais sur les conseils d’un ami qui m’offre un livre, je me mets à lire un certain Joseph Kessel qu’il me recommande chaudement.

Je n’ai jamais entendu parler de ce monsieur.

Je prends le RER, en costard toujours, je me fais trop chier dans un boulot que je comprends pas, je vais à la Défense et je découvre Joseph Kessel.

Je lis sa biographie de l’aviateur Jean Mermoz, les Cavaliers en Afghanistan, Fortune Carré à Djibouti, l’Armée des ombres dans la résistance à Londres en 43, le Lion du Kenya, ses aventures à travers les steppes russes, la guerre d’Espagne, le Tour du malheurl’Equipage et la folle épopée de l’aéropostale, le Bataillon du cielBelle de jour et autant d’histoires plus incroyables les unes que les autres.

Je dévore la plupart de ses livres.
Et puis curieux, je m’intéresse à l’homme.

Journaliste, reporter de guerre, romancier, aventurier français, résistant, boxeur, bagarreur, homme de pensée mais surtout homme d’action qui toute sa vie aura courageusement choisi le bon côté de l’histoire quitte à risquer sa vie et à y laisser des plumes.

Né de parents russes en Argentine, il grandit en Oural, et sa famille passionnée de la France, de ses lumières et de ses valeurs humanistes finit par réaliser son rêve en s’installant à Nice puis à Paris. Toute sa vie il parcourt le monde entier, dans tous les sens, en suivant l’histoire, la grande.

À 23 ans, en 1920, il a déjà fait deux fois le tour du monde.

Cet homme et sa biographie, Joseph Kessel ou la piste du Lion vont changer ma vie.

Je vous la recommande.

Et puis un jour, je tombe sur son discours d’entrée à l’Académie française. L’Académie française, vous le savez, fondée en 1634 est une institution française dont la fonction est de normaliser et de perfectionner la langue française.

Et je me permets de vous en faire la lecture car il a ce matin toute son importance.

M. Joseph Kessel, ayant été élu à l’Académie française à la place laissée vacante par la mort de M. le duc de La Force, y est venu prendre séance le jeudi 6 février 1964, et a prononcé le discours suivant :

Messieurs,

(Je fais ici une parenthèse, vous savez bien sûr comme moi que la première femme à entrer à l’Académie française est Marguerite Yourcenar en 1980 soit 16 ans après ce discours.)

« Messieurs,
L’acte de remerciement auquel se livre à l’instant d’entreprendre son discours celui qui a eu la bonne fortune d’être accepté par vous, est le réflexe le plus naturel de courtoisie et de gratitude.
De siècle en siècle, cette même coupole a entendu les nouveaux membres de votre Compagnie s’employer à ce même exercice. Mais je crois, et même je suis sûr, que la tradition centenaire a été renouvelée chaque fois, et comme rajeunie, moins par les mots, dont tout écrivain connaît hélas les limites, que par les émotions qui, elles, dans leurs nuances, leurs inflexions, dans le prisme singulier de leur arc-en-ciel, ne sont jamais pareilles chez deux hommes.
Pour moi, un sentiment tout particulier l’emporte, qui dépasse de loin et de haut ma personne.
Quand, pour tenter d’être reçu parmi vous, je me suis présenté au fauteuil du duc de La Force, ce fut uniquement par le hasard des circonstances, et de ces échanges imprévus entre la vie et la mort qui soudain s’imposent à nous. Mais votre choix, lui, n’a eu rien de fortuit. Il a été voulu, mûri, délibéré.
Or, pour remplacer le compagnon dont le nom magnifique a résonné glorieusement pendant un millénaire dans les annales de la France ; dont les ancêtres, grands soldats, grands seigneurs, grands dignitaires, amis des princes et des rois, ont fait partie de son histoire d’une manière éclatante, pour le remplacer, qui avez-vous désigné ?
Un Russe de naissance, et Juif de surcroît. Un juif d’Europe Orientale. Vous savez, Messieurs, et bien qu’il ait coûté la vie à des millions de martyrs, vous savez ce que ce titre signifie encore dans certains milieux, et pour trop de gens.
Oh ! j’entends bien, pour vous la question ne s’est même pas posée et vous êtes surpris, sans doute, de me l’entendre mentionner ici. Mais croyez-moi, le fait même de cet étonnement méritait qu’il fût signalé. Croyez-en quelqu’un qui a beaucoup voyagé, beaucoup écouté et prêté une attention profonde aux voix des hommes qui ont souffert et souffrent encore de la discrimination, des hommes en mal d’équité, de dignité. Pour eux, j’en suis sûr, vous qui formez la plus ancienne et l’une des plus hautes institutions françaises, vous avez marqué, sans même y penser et d’un geste d’autant plus précieux, vous avez marqué, par le contraste singulier de cette succession, que les origines d’un être humain n’ont rien à faire avec le jugement que l’on doit porter sur lui.
De la sorte, Messieurs, vous avez donné un nouvel appui à la loi obstinée et si belle de tous ceux qui, partout, tiennent leurs regards tournés vers les lumières de la France. Soyez-en remerciés.
« 

Comme lui, mon grand père à moi est Russe de naissance et juif de surcroît.

Peut être que c’est cela qui me fait tant aimer le personnage ?

C’est ce texte et tous les autres de Kessel, son œuvre autant que sa vie qui m’a fait prendre ma vie en main. Qui m’a fait décider que je voulais faire quelque chose dont je serais fier, quelque chose qui ferait à mon échelle, en toute modestie, avancer les choses, contribuer à un monde meilleur, plus juste, plus durable et faire briller les lumières de la France.

Ma question dans le RER pour La Défense, à 24 ans, c’est celle ci :

En fait qu’est ce qu’il ferait aujourd’hui Joseph Kessel ?

A cette question, en quelques semaines au cours de l’été 2009, il y a un peu plus de 10 ans, je me dis que peut être, Joseph Kessel, aujourd’hui il serait entrepreneur.

C’est en tout cas le raccourci de peureux derrière lequel je me cache pour ne pas devenir reporter de guerre. Ma mère ne m’aurait jamais laissé faire.
Et j’en aurais jamais eu le courage.
Il n’est jamais trop tard vous me direz. Et je suis encore un djeuns, à force d’avoir 27 ans.

Alors je quitte General Electric pour démarrer chez Bio c’ Bon parce que je me dis que ça fait du sens, que je peux y faire mes premières armes et puis ensuite je les quitte pour lancer ma propre aventure.

Le Slip.

Aussi improbable que ça puisse paraître. Je ne vous raconte pas l’histoire, vous la connaissez par cœur, mais le Slip Français vient de là, de l’envie assez naïve de faire quelque chose dont la France pourrait être fière.

C’est improbable, c’est inattendu, c’est surprenant et sûrement d’autant plus français mais c’est l’exacte vérité.

Je me suis lancé dans l’entrepreneuriat avec la vague et naïve envie de faire quelque chose dont la France pourrait être fière.

Lors de mon discours de noël, il y a quelques semaines, je le cite, notre ami Joseph, là encore, sur les coups de griffe de l’histoire

« Quand on tutoie l’histoire, il faut accepter de prendre quelques coups de griffes »

En vous annonçant le coup de paluche que nous avons pris en décembre avec la grève nationale, j’étais loin d’imaginer la profonde blessure qu’on nous infligerait en ce début d’année.

Il faut croire que l’histoire et le Slip deviennent des amis proches.

Alors voilà.

A la question de mes valeurs, profondes, de la vraie raison pour laquelle je suis prêt et j’ai envie qu’on relève tous ensemble l’immense défi d’essayer de donner notre définition de ce que ça veut dire d’être Slip Français, voici ma réponse.

Comme une évidence que je n’avais finalement jamais racontée, que n’avais vraiment jamais comprise aussi clairement, voici le point de départ sur lequel j’ai tout construit.

Ce n’est pas du bullshit, ce n’est pas une belle historie que je vous raconte, c’est la plus simple vérité du cheminement de ce qui m’a amené juste qu’ici et qui, quelque part, nous a tous amené jusque ici.

En 2012, le Slip a à peine quelques mois quand une journaliste de Libération me demande ce qui a inspiré le Slip. Je lui parle de Kessel bien sûr mais je lui parle surtout de ce discours que, déjà à l’époque, comme ce matin, j’ai dans la poche.

Je lui dis mon envie de faire quelque chose dont la France serait fière, dont tous les français seraient fiers.

Avec le Slip Français, comme l’ami Kessel le dit si joliment, donner ensemble un nouvel appui à loi la obstinée et si belle de tous ceux qui, partout, tiennent leurs regards tournés vers les lumières de la France.

C’est avec cette idée que nous avons construit le Slip, brique par brique depuis 9 ans.

Mais qu’allaient ils faire dans cette galère me direz vous ?

Alors dans cette période compliquée, où vous avez pu douter du Slip, de ses valeurs, de nous, de moi, voilà ce que je tenais à vous dire ce matin.

Mes valeurs, celles du Slip, sont et seront toujours celles-ci, l’audace, le courage, la joie de vivre, le respect, la liberté et l’ouverture.

Si vous êtes assez fous pour décider de me suivre, c’est ça que je veux que nous défendions tous ensemble.

Et devant nous, à partir d’aujourd’hui le début d’une nouvelle saison où nous allons de notre mieux essayer de construire notre définition d’être Slip Français.

Voilà, je vous avais prévenu, j’en avais lourd sur le cœur.
Mais mes chers slipistes,
Comment pourrait il en être autrement ?
Face à une telle situation alors qu’on parle d’audace, de panache à longueur de journée, comment pourrais je prétendre à continuer à être le président du Slip si je n’étais pas moi même prêt à prendre des risques devant vous.

J’espère que comme toujours dans l’histoire du Slip, cette prise de risque paiera et qu’aujourd’hui encore, vous me ferez l’honneur et l’amitié de me suivre.
Car ce que je vous propose comme au premier jour, c’est une aventure dont vous vous souviendrez.

Et je ne manque pas une occasion de le rappeler, voici la définition d’une aventure.

Aventure : Entreprise comportant des difficultés, une grande part d’inconnu, et parfois des aspects extraordinaires.

Je suis très heureux, ému et fier de passer cette journée avec vous et de l’énorme boulot qu’a fait toute l’équipe que je salue au passage.
Si je parle beaucoup de mon parcours, car ça me semblait important ce matin, je vous tire mon chapeau à tous. Vous avez été forts et soudés dans la tempête et vous êtes déjà repartis de plus belle.
J’en profite pour tirer mon chapeau à notre DG Violette, merci à toi de ton soutien sans faille et à tout le comité de direction qui a assuré grave, qui a fait bloc et prouvé sa grande valeur en tant qu’équipe pendant ces semaines difficiles.
Je suis très fier de vous tous, de votre capacité à rebondir, de votre résilience, de votre courage.

Alors aujourd’hui, échangez, partagez, faites vous confiance.
Dites ce que vous pensez, je vous l’ai toujours demandé mais aujourd’hui encore plus que les autres jours.

Merci d’être là,
Et de tout mon cœur,
Plus haut et plus fort que jamais,
Vive le Slip.

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